Recherche sur les cellules souches

Natalia López Moratalla, Professeur titulaire de Biochimie et de Biologie Moléculaire à l'Université de Navarre, explique ici l'importance du prix Nobel décerné aux scientifiques Yamanaka et Gurdon en décembre 2012. En effet, face à une partie de la communauté scientifique qui misait tout sur les cellules souches embryonnaires, les recherches de Yamanaka ont été menées exclusivement sur des cellules souches adultes, ce qui ouvre un vaste champ d'applications thérapeutiques.

La foi et la raison ne s'opposent pas « On savait dès le départ que les cellules souches embryonnaires seraient indomptables et qu'elles ne serviraient pas à guérir »

Shinya Yamanaka (à gauche) et John B.Gurdon (à droite)

Le 10 décembre 2012, le scientifique japonais Shinya Yamanaka (Osaka 1962) ainsi que John B.Gurdon, ont reçu le prix Nobel de Médecine pour leur recherche pionnière sur les cellules souches adultes. Ils ont découvert que « les cellules souches adultes peuvent être reprogrammées et devenir pluripotentes », c'est-à-dire que la spécialisation des cellules est réversible ce qui ouvre un vaste champ d'applications thérapeutiques.


Natalia López Moratalla, Professeur titulaire de Biochimie et de Biologie Moléculaire à l'Université de Navarre,
Natalia Lopez Moratalla
explique ici combien ce prix est important et comment, face à une partie de la communauté scientifique qui misait tout sur les cellules souches embryonnaires, les recherches de Yamanaka ont été menées exclusivement sur des cellules souches adultes.

Pourquoi ce Nobel est-il si important ?
Ce prix Nobel représente un grand apport à la science et constitue un tournant dans un domaine qui avait pris un mauvais départ : la recherche était d'une part souvent très centrée sur des questions idéologiques concernant la vie humaine et d'autre part on proposait comme une solution nécessaire pour guérir de graves maladies l'utilisation des embryons surnuméraires de la fécondation in vitro.

« Yamanaka dit bien dans quelques articles qu'il s'agit d'un sujet scientifique et qu'il faut faire fi de l'idéologie et de la politique »

Derrière ce sujet il y a une forte pression idéologique et un grand investissement financier ; on a donc essayé dès le départ de faire croire à l'opinion publique que « l'Église ne tient pas à la guérison des personnes si, pour ce faire, il faut se servir d'embryons humains». Ceci renvoie la polémique à un domaine religieux et non pas au niveau scientifique, même si dès le départ on savait bien que les cellules souches embryonnaires allaient être indomptables et ne serviraient pas à guérir.

Comment Yamanaka a-t-il réussi à avancer en faisant fi de ces « pressions-là » ?

À mon avis la clé de sa réussite tient à ce qu'il a évité de polémiquer avec tous ceux qui font de la recherche sur des cellules souches embryonnaires. Il trace un tournant : la rationalité, les connaissances préalables et comme point de départ, ne jamais utiliser un embryon ni des ovules humains pour cloner. Il a aussi parfois déclaré que la première fois qu'il vit un embryon, il y retrouva ses filles. Cependant, il ne se mêle pas de ces discussions. Il y a deux voies pour l'obtention de cellules pluripotentes : détruire des embryons de peu de jours ou programmer en arrière des cellules souches adultes. Yamanaka prévoit que cette dernière issue est la bonne.

Cette découverte a permis d'écrire de nouveaux livres et d'ouvrir de nouvelles perspectives à la recherche. Peut-on dire qu'il s'agit d'une révolution copernicienne dans l'histoire de la médecine régénérative ou une telle affirmation est-elle trop présomptueuse ?

Le champ de recherches ouvert concerne de très nombreux laboratoires et beaucoup d'années de travail. C'est la réalisation d'un rêve doré : avoir des modèles cellulaires de maladies humaines pour les étudier, pour expérimenter des produits pharmaceutiques, pour étudier des toxiques, etc. Par ailleurs, nous avons à notre portée, en peu d'années, une voie possible de guérison de maladies dégénératives ou de destruction de tissus. Il a aussi déjà réussi, en 2012, —grâce aux gamètes obtenues par reprogrammation en arrière avec une maturation in vitro— à obtenir le premier modèle pour l'étude de l'infertilité, ce qui pourrait permettre d'envisager des stratégies pour une guérison éventuelle.

Il y a encore beaucoup de travail à faire, plus ou moins difficile selon les cas, mais toujours possible. Je ne sais pas s'il faut parler d'une révolution copernicienne mais en tout cas d'un point de référence pour les scientifiques.

"On n'a pas le droit de se dire « moi je fais de la recherche théorique et l'usage qu'en feront les biotechnologues ne m'intéresse pas »

Foi et raison, un binôme en harmonie.

Quand on a commencé à faire de la recherche avec des cellules souches embryonnaires on a fait croire que tous les détracteurs de ce type de projets faisaient partie des secteurs religieux. Cependant Shinya Yamanaka n'a pas manifesté, publiquement au moins, qu'il se soit penché sur les cellules souches adultes pour des raisons religieuses. À votre avis, pourquoi a-t-il agit ainsi ?

Parce que c'est rationnel. On savait bien qu'il n'y avait pas d'issue thérapeutique possible avec les cellules embryonnaires, j'insiste. Si jamais elles arrivaient à mûrir adéquatement pour guérir, elles seraient rejetées parce qu'elles n'appartiennent pas au patient lui-même. Quand on en a eu la démonstration, on a pensé au soi-disant clonage thérapeutique : produire un embryon clone de chaque patient. Le clonage des mammifères démarre avec le scoop de la brebis Dolly qui fut un échec parce qu'elle était malade et qu'elle était stérile, elle était née vieille, etc.

Après des milliers de tentatives, on n'a pas encore réussi à cloner un primate et tout essai sur des humains échoue systématiquement.
Dans sa recherche, Yamanaka part des connaissances sur le clonage des amphibies fournies par Gurdon et qui étaient à la base du clonage de la brebis Dolly. Mais il n'applique pas les résultats de sa recherche au clonage humain parce qu'il cherche à savoir dans quelle mesure le développement embryonnaire peut être réversible et fonctionner dans les deux sens.

Cela pourrait-il confirmer encore une fois, sinon définitivement, que la foi ne s'oppose pas à la science et que très souvent elle peut servir à avancer sur la vraie voie du progrès ?

En effet, on vient encore une fois de constater que lorsqu'on travaille de façon scientifique et rigoureuse, avec une éthique propre à la recherche qui cherche à connaître comment les choses sont et comment elles fonctionnent, tout finit bien. La vérité prend toujours le dessus. Je pense qu'il s'agit ici d'un cas très spécial et exemplaire aussi bien parce que,

dans sa recherche, il a refusé au départ de détruire des embryons et de manipuler des femmes pour obtenir des ovules humains que parce qu'il a pensé aux conséquences que d'autres pourraient tirer de ses expériences. Il a tout mis en œuvre pour que cela ne se passe pas comme ça.

« Tout un cortège de fausses suppositions a créé l'idée que l'embryon n'a pas un caractère propre à l'homme. On n'avait jamais orchestré auparavant une idéologie si fausse et de façon si universelle »

Depuis qu'il a commencé à travailler il a été littéralement assiégé par ceux qui tiennent à l'utilité des cellules embryonnaires comme des contrôles indispensables aux iPS (cellules souches pluripotentes induites). Dans certains de ses articles, Yamanaka dit bien qu'il s'agit là d'un sujet scientifique dont il faut écarter toute idéologie et toute politique. Et il résout le problème sans avoir recours aux embryons. La rationalité scientifique est une source de connaissance. J'ignore s'il a ou non des principes religieux. Ce qu'il montre c'est sa droiture et non pas au nom de la religion mais de l'éthique de la recherche scientifique.

En effet, la science peut atteindre des certitudes et trouver

le sens biologique et naturel d'une réalité ou d'un processus. La rationalité éthique trouve le sens humain des processus vitaux de l'homme.

La foi en donne la raison ultime, le sens plénier de la vie et de la dignité humaine. Cette voie est d'une beauté exceptionnelle dès qu'elle est parcourue dans la liberté totale de celui qui cherche la vérité.

Après toutes les aberrations du 20ème siècle, les recherches de Yamanaka ont-elles du poids pour que la communauté scientifique réalise que tout n'est pas licite ?

Bien évidemment. Après la bombe atomique, Bohr, l'un des pionniers de l'énergie nucléaire, avoua que s'il avait pensé un seul instant aux conséquences de sa recherche, il aurait été plus prudent en parlant à ses étudiants et sans doute il n'aurait pas eu tant de disciples attelés à fabriquer cette bombe.

On n'a pas le droit de se dire « moi je fais de la recherche théorique et l'usage qu'en feront les biotechnologues ne m'intéresse pas ». Il ne saurait y avoir de ligne de démarcation. Aujourd'hui, alors que l'embryon, la vie naissante et la transmission de la vie humaine sont si fermement méprisés, ce témoignage peut nous faire profondément réfléchir.

« On savait dès le départ que les cellules souches embryonnaires seraient indomptables et qu'elles ne serviraient pas à guérir »

Il n'y avait jamais eu auparavant dans l'histoire une telle falsification des données concernant l'embryon humain comme cela a été le cas dans la seconde moitié du 20ème siècle. On a utilisé des donnés purement spéculatives, tenues pour des dogmes de la science alors qu'on avait vérifié qu'elles étaient fausses et ce pour attaquer la foi et la morale de l'Église depuis que Paul VI avait condamné la contraception pharmacologique.

Tout un cortège de fausses suppositions a créé l'idée que l'embryon n'a pas une dignité propre à l'homme. On n'avait jamais orchestré auparavant une idéologie si fausse et de façon si universelle.

Sur cette idée, on a construit des modes de vie, des concepts de la famille, etc. qui, protégés par la loi, veulent montrer que la foi et l'Église sont les ennemis du progrès.

Aussi, suis-je d'avis que dans ce contexte-là, ce grand Prix Nobel a une signification unique.