Le sycomore, ascenseur du Salut

La série "les arbres de la Bible" nous présente un arbre vraiment sympatique ! Le sycomore, l’arbre de « ceux d’en bas », élève les pécheurs pour les présenter à la bienveillance du Seigneur.

Dans la Bible, les arbres ne sont pas uniquement mentionnés pour tapisser le cadre environnemental de la Révélation. Ils sont porteurs d’un sens symbolique, comme l’arbre de la connaissance du bien et du mal au jardin de l’Éden, ou l’arbre de Vie [1]; dans la « Fable des arbres », ils sont l’expression du pouvoir[2]. Ils figurent aussi des personnes, tel le roi Nabuchodonosor[3] ou des communautés, comme Israël dans la parabole du figuier stérile[4].

Le sycomore, l’arbre du pauvre

Le sycomore répertorié par l’Écriture est au Proche Orient un arbre commun[5], au point que le roi David lui avait commis un intendant [6]. Il pousse à peu près partout et notamment aux bordures du désert. Il peut vivre plusieurs siècles et régénère très bien de souche. Il est employé aussi en menuiserie et comme combustible. C’est un arbre majestueux de grande taille à la riche frondaison, dont les larges branches horizontales à faible hauteur sont appréciées pour l’ombrage qu’elles procurent. Cela ne lui donne pas pour autant de titre de noblesse : son bois n’a rien de comparable avec celui, imputrescible, du chêne, du cèdre ou de l’acacia[7]. Et que dire de ses fruits inconsommables à l’état naturel [8]! D’ailleurs, le livre des Chroniques indique[9] que Salomon rendit l'argent et l'or aussi communs que les pierres, et les cèdres aussi communs que les sycomores : ce qui veut dire que la différence entre le cèdre et le sycomore était aussi grande qu'entre l'or et la pierre.

Amos, le prophète aux sycomores

Il est significatif pour notre propos que le petit peuple, les gens d’en bas, aient eu en la personne d’Amos [10] un défenseur à la prédication rugueuse, un imprécateur contre les classes possédantes qui se bâtissaient des maisons de pierres de taille où elles festoyaient somptueusement.

Amos représente le petit peuple, les gens ordinaires… comme le bois de sycomore, indispensable pourtant à la construction, comme eux-mêmes à l’édification de la société.

Lui, le berger, l’homme de la terre, d’une terre de cailloux et de sycomores, confesse en toute humilité : Je n’étais pas prophète, je n’étais pas fils de prophète, j’étais bouvier, je traitais les sycomores ; mais le Seigneur m’a pris de derrière le bétail et le Seigneur m’a dit: ‛Va, prophétise à Israël mon peuple’[11]. Amos représente le petit peuple, les gens ordinaires… comme le bois de sycomore, indispensable pourtant à la construction, comme eux-mêmes à l’édification de la société.

Zachée le profiteur, sauvé par son sycomore

les branches basses d’un sycomore sur la place lui offrent un refuge et un promontoire (...) Là, il croise du regard Jésus qui passe au-dessous : il en est bouleversé…

Zachée était le chef des publicains de Jéricho, oasis et riche bourgade sur la route de la Ville Sainte. Patron des collecteurs d’impôts pour le compte de l’occupant romain, il était haï de tous, honni de partout. Handicapé par sa petite taille, comment pourrait-il voir passer Jésus, en chemin pour Jérusalem, d’autant que la foule, sans doute, lui fait volontairement écran ? Les circonstances l’ont peut-être rendu plus sensible au mépris dont il était l’objet. Peut-être cela l’a-t-il conduit à faire retour sur lui, à sonder en conscience ses indélicatesses dans la gestion de ses affaires ? En tout cas, les branches basses d’un sycomore sur la place lui offrent un refuge et un promontoire : il y grimpe sans se soucier de respects humains.

Là, il croise du regard Jésus qui passe au-dessous : il en est bouleversé… Zachée, descends vite ! Voilà quelqu’un qui, en raison de ses fonctions, était habitué à « dominer la situation ». Néanmoins, il quitte immédiatement son piédestal, tant sa conversion est radicale. Il descend de sa pseudo-élévation sociale pour retrouver sa vraie place : celle d’un coupable qui a besoin d’être pardonné. Le sycomore en est complice : lui l’arbre de « ceux d’en bas », il élève les pécheurs pour les présenter à la bienveillance du Seigneur.

Non pas la « foi du charbonnier » mais une foi vigoureuse comme un sycomore

Voici que je fais toute chose nouvelle [12]! C’est le cas, chaque fois que l’on se tourne sincèrement vers Dieu : il est source de renouveau ; ici, d’un « grand collecteur » retourné par cet amour gratuit et non mérité : alors, « puisque lui aussi reçoit la grâce, qui pourra désespérer de lui-même »[13]?

Encore faut-il réunir deux conditions indispensables :

- rechercher Dieu sans fausse honte ni peur du ridicule : « Convaincs-toi que le ridicule n’existe pas pour qui agit au mieux » [14] !

- une bonne dose de foi : Si vraiment vous aviez de la foi gros comme une graine de moutarde, vous diriez à ce sycomore : ‹Déracine-toi et va te planter dans la mer›, et il vous obéirait [15]. Quand on est face à un sycomore, on se rend compte que ce n’est pas l’arbre le plus facile à déraciner !

Bertrand Cauvin, expert forestier

Abbé Patrick Pégourier


[1] Gn 2, 9 et Ap 22, 19.

[2] Jg 9.

[3] Dn 4, 7 sv.

[4] Lc 13, 6-9.

[5] 2 Chr 9, 27 et Ps 78, 47. Il se dénomme ficus-sycomorus parce que ses feuilles ressemblent à celles d'un figuier – du grec sukon : figue. Elles sont arrondies et formées de 5 lobes. On l’appelle aussi figuier blanc ou égyptien. Ses fruits sont petits, clairs, piquetés de taches brunes, et s’agglutinent en grappes nombreuses sur le tronc et les branches principales.

[6] 1 Chr 27, 28.

[7] Le bois de sycomore est poreux. Mais portant : il était employé dans la construction de temples, de salles, et même de coffres domestiques.

[8] Afin d’améliorer la lactation, on donnait ses feuilles et ses fruits au bétail. Mais, pour être comestibles, ceux-ci – petites figues blanches ‒devaient être piqués avant d’arriver à maturité : c’était un travaillong et fastidieux, accompli par les bergers, telAmos, pendant que leurs troupeaux paissaient.

[9] 2 Chr 1, 15. Cf. aussi 1 R 10, 27 et 1 Chr 27,28 ; 2 Chr 9,27.

[10] Originaire de Juda, le royaume du sud, il se sait envoyé chez ses voisins du nord, au royaume prospère d'Israël, au VIIIe siècle avant notre ère.

[11] Amos 7,14-15.

[12] Ap 22, 5.

[13] Saint Ambroise, Expositio Evangelii secundum Lucam, in loc.

[14] Saint Josémaria Escriva, Chemin 392.

[15] Lc 17,6.